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Bilan de 2020 de l’Union postale universelle – Explosions à Beyrouth (Liban)

Tout au long du second semestre de 2020, l’UPU a publié des articles décrivant comment LibanPost a poursuivi la distribution du courrier après la terrible explosion du 4 août à Beyrouth.

État d’urgence
 
Comment distribuer le courrier à 300 000 personnes devenues soudainement sans abri dans une ville en état d’urgence?
 
La poste libanaise a dû tout fermer pendant trois jours à la suite de l’explosion du 4 août, qui a dévasté plusieurs parties de la capitale, mettant ainsi à l’arrêt ses services dans tout le pays.
 
Le cauchemar logistique a contraint à la décision de fermer, a déclaré Khalil Daoud, Président-Directeur général de LibanPost. «La première chose à laquelle nous devions penser était: est-ce qu’une autre explosion peut se produire? Était-ce un attentat? Un accident? Y a-t-il toujours des explosifs dans la zone? S’il s’agit d’un attentat, pourrait-il y avoir d’autres attentats dans d’autres endroits? Ce sont des considérations que nous devions étudier pour la sécurité de nos employés», a-t-il ajouté.
 
Ensuite, il a fallu se soucier des employés, s’assurer que personne ne manque à l’appel, que les blessés reçoivent des soins et que les sans-abri peuvent être hébergés quelque part.
 
D’après Sanaa Elias, responsable des activités de vente au détail, la fermeture était également nécessaire pour réparer les bureaux endommagés.
 
«Le jour d’après, nous avons commencé à faire des recherches dans les décombres [des bureaux de poste endommagés]; nous n’avons perdu que deux envois [postaux].»
 
«Mais comment distribuer le courrier à quelque 300 000 personnes devenues soudainement sans- abri dans une ville en état d’urgence?»
 
Alors que les bureaux de poste étaient hors-service dans les semaines qui suivirent, l’explosion ayant causé pour plus de 115 000 USD de dommages, LibanPost s’est rapidement remis au travail pour que les gens continuent d’avoir accès à leurs cases postales. Tous les autres services sont ensuite devenus disponibles dans les bureaux non touchés à travers le pays.
 
Pour les personnes vivant toujours sur les lieux de l’explosion, une solution innovante et pratique a été trouvée. Ces deux dernières années, LibanPost a constitué une flotte de quatre caravanes qu’il a transformées en bureaux de poste mobiles afin de desservir la population lors des festivals et dans les stations de montagne. Aujourd’hui, dans la zone dévastée, les sans-abri ont maintenant un toit.
 
Mais comment distribuer le courrier à quelque 300 000 personnes devenues soudainement sans abri dans une ville en état d’urgence?
 
Tout ce que pouvaient faire les employés au siège de LibanPost était de promouvoir les services numériques, via lesquels les gens pourraient modifier leurs adresses et accéder à tous les autres services disponibles dans les bureaux ou en ligne. Pour les travailleurs postaux tels que Mohammad Fakro, dont la tournée le fait passer directement dans la zone de l’explosion, être sur le terrain constituait un vrai casse-tête.
 
«Dans plusieurs quartiers, nous comptions sur les personnes qui étaient toujours là pour nous diriger vers celles qui se sont déplacées vers d’autres parties de la ville ou pour nous indiquer si elles étaient toujours en vie», confie Mohammad.
 
«En distribuant le courrier dans ces zones, beaucoup d’entre nous avaient peur que les constructions s’effondrent pendant que nous montions les escaliers, car elles avaient l’air très instables. Maintenant, nous utilisons des avis de passage que nous laissons et nous gardons au bureau de poste les envois des personnes que nous n’avons pas pu atteindre.»
 
Au cœur du désastre
 
La tournée quotidienne de Mohammad Fakro le conduit au cœur de la destruction causée par l’explosion du port dans la capitale libanaise. Les débris enchevêtrés et le verre brisé remplacent désormais les bâtiments où il effectuait autrefois ses livraisons. De nombreux clients réguliers ont été tués ou déplacés.
 
Le 4 août était un jour comme un autre pour Mohammad. Il a commencé tôt et a pris le courrier pour sa tournée au bureau de Riad Solh, dans le centre de Beyrouth – l’un des bureaux de LibanPost qui, plus tard dans la journée, serait presque entièrement détruit.
 
Il traverse le centre-ville cossu jusqu’au port, passe devant l’abattoir et se dirige vers Karantina, une zone défavorisée en face du port qui a été le plus durement touchée par l’explosion. Il termine sa tournée à 14 heures. Un peu après 18 heures, tous les bâtiments le long de son itinéraire de distribution explosent.
 
Sa première tournée après la fermeture de la poste libanaise pendant trois jours après l’explosion a été une expérience douloureuse.
 
«Je demandais aux gens dans la rue: ‹Où est cette personne maintenant?› Et ils me répondaient qu’elle avait péri dans l’explosion ou qu’elle était à l’hôpital ou partie en voyage, ou qu’elle avait fui [le pays]. C’était simplement… très triste.»
 
«Ceux d’entre nous qui empruntaient les escaliers redescendaient toujours en courant, car nous craignions que les bâtiments s’effondrent.»
 
Je me souviens du portier de l’immeuble de l’un de mes clients habituels; on m’a dit que lui et toute sa famille étaient morts dans l’explosion. Lui et ses deux filles.»
 
Mohammad cherchait à savoir ce qu’étaient devenus ses clients réguliers, mais il essayait aussi de distribuer le courrier à des adresses qui n’existaient plus et à des personnes qui avaient fui du jour au lendemain vers d’autres régions du pays.
 
«S’il y avait un numéro de téléphone lié à l’adresse d’un client, nous appelions pour organiser la distribution du courrier», a-t-il expliqué. «Sinon, nous comptions sur les voisins pour nous indiquer son nouveau lieu de résidence ou conservions son courrier en lieu sûr jusqu’à ce qu’il nous contacte. Mais nous retournions sur les lieux tous les jours [si le bâtiment était encore debout].»
 
Toutefois, de nombreux bâtiments restants ont été fragilisés par l’explosion.
 
«Dans un ou deux bâtiments dans lesquels je suis entré... on aurait dit que les murs avaient été littéralement arrachés par la force de l’explosion. J’avais vraiment l’impression que le sol était instable quand je me déplaçais.»
 
«Ceux d’entre nous qui empruntaient les escaliers redescendaient toujours en courant, car nous craignions que les bâtiments s’effondrent.»
 
Dans les premiers temps, explique Mohammad, il était souvent plus facile de trouver les clients, car ils devaient déménager leurs affaires des maisons et des bureaux ou faire des réparations. Dans certains cas, cependant, en l’absence d’indications des voisins ou d’instructions du client pour la réexpédition du courrier, la distribution du courrier est impossible.
 
La vie de Mohammad, comme celle de la plupart des Libanais, avait déjà été bouleversée par l’effondrement économique, mais l’explosion n’a fait qu’aggraver la situation.
 
La monnaie locale a perdu plus de 80% de sa valeur au cours de l’année écoulée et, selon les estimations de certains experts, le Liban est devenu le premier pays du Moyen-Orient/d’Afrique du Nord à connaître une situation d’hyperinflation. Il y avait peu d’argent pour survivre; pour la plupart des gens, il n’y a pas d’argent pour reconstruire.
 
«Nous attendons de voir si quelqu’un peut nous aider. Je suis locataire, et le propriétaire a dit qu’il ne pouvait pas m’aider ni payer les dégâts; il dit qu’il a besoin du loyer pour couvrir ses dépenses. Cela coûte cher, vous savez. Tout le monde est dans le même cas.»
 
Mohammad était chez lui, face au port, avec sa femme et ses deux enfants lorsque l’explosion s’est produite. Elle a fait voler en éclats toutes les vitres de son appartement et dévasté l’intérieur.
 
«Il y a des choses que j’ai réparées dans la maison parce qu’on ne peut pas s’en passer, comme les vitres. J’ai dû faire un emprunt pour payer les réparations. Mais je ne peux pas faire beaucoup plus; je dois payer le loyer, l’école des enfants et les factures».
 
«Les balcons ont tous commencé à s’effondrer.»
 
Responsable du bureau de LibanPost situé dans le quartier de Gemmayzé, à Beyrouth, Leina Zeidan a été sauvée par son fils. Elle a frôlé la mort lors des explosions qui ont ravagé la capitale libanaise le 4 août.
 
Habitant à moins de 300 mètres du lieu de l’explosion, Leina regardait l’incendie du port avec Ryan, son fils de 4 ans, depuis son balcon, situé au 11e étage de leur immeuble. Kamal, le mari de Leina, était à son bureau près du port.
 
«J’ai soudainement vu quelque chose s’élever dans l’air. Le niveau de la mer est monté et quelque chose a explosé. Ryan s’est envolé. Il s’est envolé, puis il est tombé», a déclaré Leina. «Les balcons ont tous commencé à s’effondrer en dessous de nous. Je pouvais entendre tous les balcons s’écrouler en dessous.»
 
Le bruit des balcons de son immeuble en train de s’écrouler sous ses pieds est la dernière chose dont Leina se souvient avant de perdre connaissance.
 
Quelques instants plus tard, Ryan réveillait sa mère, qui saignait abondamment, en la suppliant d’aller voir si son père était encore en vie.
 
«J’ai noué un morceau de tissu pour relier Ryan à moi par le poignet. Je l’ai attaché parce que j’ai pensé que si je mourais, il serait avec moi le temps que les secours arrivent. Et si je ne mourais pas, cela me permettait de ne pas le perdre.»
 
Leina a décrit son trajet de dix minutes à pied entre son domicile et le bureau de son mari. Tout juste consciente, alors que son sang coulait sur le sol, elle a été entraînée par son fils parmi les décombres, les cadavres et les blessés. Heureusement, en arrivant au bureau, Leina a découvert que son mari Kamal était vivant.
 
Trois hôpitaux ont refusé d’admettre Leina: ils étaient débordés et ses blessures étaient trop graves pour qu’elle puisse être soignée rapidement et facilement.
 
Le bruit des balcons de son immeuble en train de s’écrouler sous ses pieds est la dernière chose dont Leina se souvient avant de perdre connaissance.
 
Attaché à sa mère mourante et étendue sur le bas-côté de la route, Ryan a crié pour qu’on vienne les aider. Un étranger qui passait par là en voiture les a emmenés tous les trois à un troisième hôpital. Leina, Kamal et leur fils s’étaient rendus à pied aux deux premiers hôpitaux.
 
«Il n’y a plus rien à faire pour elle. Elle a perdu beaucoup trop de sang et nous n’avons actuellement aucun lit disponible pour les urgences. Nous soignons uniquement les gens dont les blessures sont moins graves», ont expliqué les médecins du troisième hôpital à Kamal.
 
«Ils m’ont mise sur une civière et m’ont recouverte. Ils ont pensé qu’il fallait me couvrir parce que j’allais… Mon pauvre fils est resté attaché à mon poignet jusqu’à ce que ma famille arrive.»
 
La famille de Leina est arrivée et a pu l’amener à un quatrième hôpital où elle a été opérée et a reçu des transfusions sanguines.
 
«Mon fils m’a sauvé la vie et maintenant il a… tellement peur», a expliqué Leina lors d’un entretien six semaines après l’explosion.
 
«Si je m’éloigne un tant soit peu de lui, il me demande immédiatement: ‹Maman, est-ce que tu vas mourir?»
 
Le bureau de LibanPost dirigé par Leina a été parmi les plus durement touchés. Leina a confié qu’elle n’arrivait pas à retourner dans les locaux pour constater les dégâts.
 
Elle reprend progressivement le travail au siège de LibanPost pendant la rénovation du bureau du quartier de Gemmayzé.
 
«Heureusement que j’ai du travail», répète-t-elle sans cesse.
 
Elle a expliqué que le fait de pouvoir se concentrer sur son travail est la seule chose qui l’empêche de repenser encore et encore aux scènes atroces qui se sont déroulées à Beyrouth le jour de l’explosion.
 
«J’ai été amnésique pendant les trois ou quatre jours qui ont suivi la déflagration. Mais une fois de retour au travail, tous les souvenirs sont revenus dès que j’ai posé mes mains sur l’ordinateur», a-t-elle déclaré.
 
Tant que le bureau de Gemmayzé n’est pas opérationnel, Leina prête main-forte à une autre équipe. Celle-ci comprend déjà du personnel d’encadrement, mais Leina s’empresse de les remplacer dès qu’ils s’absentent et déclare avoir hâte de revenir au travail.
 
«Est-ce que je suis bouleversée? Bien sûr que oui. J’ai perdu un bureau que j’aimais, dans lequel je travaillais et que je dirigeais depuis dix ans. Cependant, je ne peux m’empêcher de remercier le ciel de ne pas avoir été là-bas à ce moment-là et d’avoir encore un travail.»
 
«Vous ne pouvez pas vous permettre d’être submergé par les émotions.»
 
Selon Khalil Daoud, Président-Directeur général de LibanPost, les explosions qui ont ravagé Beyrouth le 4 août dernier ont coûté environ 120 000 USD au service postal libanais.
 
L’explosion n’a fait qu’aggraver les difficultés économiques de LibanPost.
 
L’effondrement économique du Liban a dévasté le pays, la monnaie locale ayant perdu plus de 80% de sa valeur au cours de l’année. Les conséquences sont terribles, mais c’était à prévoir.
 
Selon M. Daoud, les dommages matériels et économiques étaient le cadet de ses soucis après l’explosion.
 
«Dès janvier, nous avons informé nos actionnaires que nous allions subir de graves pertes cette année», a déclaré M. Daoud. «Ce sera la première fois. Bien que nous soyons une organisation privée, notre activité a été rentable au cours des seize ou dix-sept dernières années. Nous faisons vraiment figure d’exception dans le pays. Nous avons lancé un plan de diversification il y a longtemps, et c’est ce qui nous a permis de nous maintenir à flot.»
 
Les projections selon lesquelles des pertes étaient à prévoir ne découlaient pas seulement des prévisions économiques pour le pays, mais aussi de la décision de ne licencier aucun employé ni de réduire les salaires, quoi qu’il arrive à l’économie libanaise.
 
«Soit vous devez subir des pertes, soit vous devez réduire les salaires et licencier des employés. Donc, puisque nous avons pris la décision de soutenir nos employés, nous savions que nous allions subir des pertes.»
 
«Nous faisons partie des rares entreprises qui se maintiennent encore sur le marché aujourd’hui, et pourtant nous nous sentons coupables de ne pas pouvoir faire plus. Avec la dépréciation de la monnaie, un salaire mensuel de 1000 USD il y a un an équivaut aujourd’hui à moins de 200 USD.»
 
Selon M. Daoud, les dommages matériels et économiques étaient le cadet de ses soucis après l’explosion.
 
«Évidemment, le plus grave a été la perte de l’une de nos employés. J’ai été informé que l’une de nos employées qui travaillait au bureau de poste de la Banque centrale du Liban et qui célébrait son anniversaire de mariage ce jour-là avait été tuée par l’explosion, aux côtés de son mari, laissant derrière elle deux enfants.»
 
«On a aussi déploré un grand nombre de blessés parmi les membres du personnel de LibanPost; certains ont été gravement touchés, d’autres ont eu plus de chance. Certains n’ont pas donné signe de vie pendant plusieurs jours.»
 
Alors qu’il s’efforçait de déterminer la situation de chacun de ses employés, M. Daoud a dû faire face rapidement au cauchemar logistique provoqué par l’explosion. Trois cent mille clients venaient de se retrouver sans abri, des bureaux étaient détruits et il fallait évaluer les dégâts avant de pouvoir déterminer quand ils pourraient rouvrir.
 
Au cours des deux dernières années, LibanPost avait acheté cinq caravanes en vue de déployer des bureaux de poste mobiles. Au départ, l’idée était de les installer dans des lieux de villégiature à la montagne ou de profiter des festivals. Aujourd’hui, en raison de la tragédie, elles ont été utilisées dans les zones détruites de Beyrouth afin d’éviter une interruption du service.
 
Quinze bureaux de poste, sur les 110 que compte le réseau, ont été endommagés, dont trois gravement.
 
LibanPost avait également mis en place un «système à domicile» permettant d’effectuer en ligne ou par téléphone toutes les opérations qui pouvaient être réalisées au bureau de poste. «Tout cela a contribué à pallier l’absence de personnel dans les processus opérationnels.»
 
LibanPost a reçu de nombreuses propositions d’aide de la part d’organisations postales internationales, a indiqué M. Daoud. «Nous avons refusé parce que je pense que la priorité doit être donnée aux ONG et aux personnes qui sont vraiment dans le besoin. Nous réussirons à nous rétablir sur le plan financier, mais ces ONG sont dans une situation désespérée.»
 
Afin d’aider la ville, LibanPost va émettre un timbre qui coûtera l’équivalent de 7 USD. Les recettes seront versées à la protection civile libanaise – une organisation bénévole qui regroupe les pompiers, les services d’ambulance et les équipes de secours du pays.
 
«Chaque fois qu’il y a un drame au Liban, ces services sont en première ligne pour apporter de l’aide, mais bien qu’ils fassent partie de l’administration publique, ils sont négligés et ne bénéficient ni des moyens ni du soutien nécessaires», a déclaré M. Daoud.
 
La maison de M. Daoud a été entièrement détruite par l’explosion, et il a dû se rendre à l’hôpital pour faire soigner des blessures dues aux éclats de verre.
 
«Cela fait partie de la vie quotidienne de tout responsable: vous ne pouvez pas vous permettre d’être submergé par les émotions. J’ai été blessé. Je suis donc allé à l’hôpital, et une heure plus tard, j’étais de retour chez moi et j’avais deux préoccupations: l’entreprise et les employés, d’une part, et l’évaluation des dommages, d’autre part.»
 
Compte rendu de la journaliste indépendante Abbie Cheeseman, Beyrouth.