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Quand la transformation s'accélère – Perspectives économiques postales pour 2020

Chaque année, les perspectives économiques postales donnent un aperçu de l’évolution récente de la situation au sein du secteur.

La préparation de l'édition de cette année a été une tâche particulièrement exigeante compte tenu de l'évolution rapide de la crise économique mondiale, les experts prévoyant la pire performance économique annuelle depuis la Seconde Guerre mondiale.
 
En très peu de temps, la pandémie de COVID-19 a transformé la vie sociale et économique partout dans le monde. Dans le secteur postal, la pandémie a provoqué des perturbations dans les chaînes logistiques postales et entraîné une forte augmentation du commerce électronique.
 
Union Postale a recueilli les propos de Mauro Boffa, économiste résident de l’UPU et coauteur de la dernière édition des perspectives économiques postales, sur la manière d’y voir un peu plus clair.
 
 
UP: Cette année a été marquée par des difficultés particulières. Que pouvez-vous dire sur le positionnement du secteur postal en 2019, avant que la crise ne frappe?
 
MB: Le secteur a connu beaucoup de changements et de transformations depuis un certain temps, principalement en raison du remplacement du courrier traditionnel par des services numériques. Les communications écrites et le transfert de documents, qui s'effectuaient auparavant par courrier, se font de plus en plus en ligne. Même le marketing direct, qui a été considéré à un moment donné comme un moyen de diversification pour les opérateurs postaux, n'est pas forcément un vecteur de croissance.
 
Le secteur s'oriente beaucoup plus vers les services logistiques, notamment le transfert de marchandises et la distribution des colis. Les services aux citoyens, tels que la prise en charge des tâches administratives officielles, offrent aussi des possibilités.
 
En 2019, le troisième Congrès extraordinaire s'est conclu par un accord sur la réforme du système de règlement transfrontalier pour les lettres internationales mettant en évidence la nécessité pour les opérateurs postaux de diversifier leurs sources de revenus.
 
Avant mars 2020, la tendance à la baisse à long terme de la poste aux lettres, un segment qui constituait autrefois la plus importante source de recettes, s’accompagnait d'une augmentation des activités liées aux colis postaux. Toutefois, cette évolution n'a pas suffi à assurer la croissance des opérateurs postaux. Dans le cadre de cette transformation, aucun modèle d'activité particulier n'avait encore prévalu, et les pays mettaient en œuvre différentes solutions. Telle était la situation lorsque la crise a frappé en 2020.
 
 
UP: Il semble que le secteur postal était particulièrement vulnérable à un choc et maintenant un choc s’est produit. La récession va-t-elle affecter le secteur postal de manière disproportionnée?
 
MB: Pas forcément. Avant, le secteur postal était toujours procyclique – il évoluait avec l'économie. Nous verrons donc les segments traditionnels – la poste aux lettres et les services financiers – être touchés par la crise, et les pertes proviendront de certains secteurs de ces segments où un ralentissement est constaté.
 
Dans le même temps, alors que des mesures de confinement ont été imposées partout dans le monde ces derniers mois, les opérateurs postaux ont été parmi les rares acteurs économiques à qui il a été demandé de maintenir leur activité dans la plupart des pays. Dans certains cas, ils peuvent être moins touchés que l'économie réelle, mais ils subiront tout de même les effets négatifs de la crise.
 
En outre, étant donné que le commerce électronique continue de se développer malgré la pandémie, on observe une augmentation de certains types de services, par exemple la livraison de marchandises et de colis. Mais ce qu'il faut retenir, c'est que cette activité est axée sur les clients et pas forcément sur les opérations entre entreprises, ce qui en fait une activité à faible marge. Cela signifie que l'augmentation de la demande ne va pas compenser la baisse des activités de distribution des lettres, par exemple. Il faudrait pour cela une augmentation beaucoup plus importante des volumes.
 
 
UP: Vous mentionnez dans les perspectives que le secteur postal n'évolue plus en tandem avec l'économie, ce que l'on appelle le découplage postal. Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène?
 
MB: C’est une tendance à moyen ou à long terme observée depuis au moins 2008, peut-être même avant. L'économie et le secteur postal ont connu des rythmes de croissance différents. Depuis sa création, le secteur postal a presque toujours connu une croissance à peu près identique à celle de l'ensemble de l'économie réelle. Cela est dû au fait que, comme je l'ai mentionné, les opérateurs postaux vendaient des services qui étaient procycliques.
 
Mais aujourd’hui, cette caractéristique est moins évidente. À mesure que l’économie se développe, la demande de services postaux n'augmente plus proportionnellement, et la croissance concerne d'autres services. Autrement dit, le paradigme productif change et ne requiert plus autant de services postaux qu'auparavant, ou du moins, pas le même type de services; des services différents sont nécessaires.
 
La demande dans le secteur du commerce électronique de détail, par exemple, est désormais beaucoup plus importante pour l’évolution du secteur postal que la croissance économique générale. Et le commerce électronique de détail est un secteur qui subirait moins les effets de la crise que l'économie réelle.
 
 
UP: Mais le commerce électronique de détail ne dépend-il pas aussi du revenu disponible des particuliers?
 
MB: Effectivement, cela dépend du niveau de la baisse des revenus et des ajustements que vous effectuez en ce qui concerne votre part de revenu pour ce secteur. Mais si vous ne pouvez pas vous déplacer librement, vous allez rediriger une partie de vos revenus destinée au commerce de détail vers des services en ligne. Ainsi, même si votre revenu disponible diminue, il se peut que vous augmentiez votre consommation de produits commandés en ligne. Dans l’ensemble, vous dépenserez peut-être moins en n'allant pas au restaurant ou à des concerts, mais votre demande en matière de commerce électronique pourrait augmenter.
 
 
UP: Pouvez-vous faire des prévisions quant aux effets des événements de 2020 sur les infrastructures ou les emplois? Y aura-t-il moins de bureaux de poste et plus de licenciements au cours de l'année à venir?
 
MB: Pour ce qui est des infrastructures, il est difficile de faire des prévisions. Il est vrai que de nombreux opérateurs postaux auront changé leur mode de fonctionnement pour tenir compte des prescriptions relatives aux équipements de protection, à la désinfection des envois, etc. Les coûts d'exploitation seront certainement plus élevés. Dans le même temps, il pourrait y avoir une demande pour d'autres types de services, tels que l'envoi de résultats de tests, la livraison d'équipements médicaux et d'équipements de protection et/ou de nouveaux services aux citoyens. Il n'est pas facile de prévoir ce qui se passera dans ce domaine. Mais nous nous attendons à une perte nette en termes de revenu.
 
L'important pour les opérateurs postaux est de conserver leur flexibilité. L'UPU s'efforce de le faire aussi et elle suit la situation en temps réel.
 
 
UP: Que pouvez-vous nous dire sur l'environnement concurrentiel dans le secteur postal? De nouveaux acteurs ont également bénéficié de l'essor du commerce électronique.
 
MB: Si le marché est assez grand, chacun peut en profiter. La question consiste à savoir si vous avez pu ou non adapter votre offre de services à la nouvelle réalité résultant de la crise. Si oui, je ne pense pas que ce soit forcément un problème pour les opérateurs postaux. Dans le cas contraire, vous devez commencer à prévoir des mesures d’adaptation.
 
Toutefois, pour de nombreux types de produits, le marché n'est pas encore saturé. Tant que les résultats en termes de croissance sont positifs, il n'y a pas de problème de «partage du gâteau». Pour le moment, il y a assez de parts pour tout le monde.